Pusinius, les Romains et les Gaulois.
Ce Co-Scriptum, tiré de l’histoire réelle, a été écrit lors du salon du livre de Pusignan les samedi 16 et dimanche 17 septembre 2023. « Tiré de l’histoire réelle » ? La légende veut qu’un lieutenant de Jules César, Pusinius, ait installé son camp sur une colline près d’un village Gaulois. C’est de ce « Pusinius » que viendrait le nom de « Pusignan ».
Nous avons beaucoup aimé cette histoire, et nous avons décidé de la… compléter. N’est-ce pas Lou, Lucian, Elise, Juliette, Charlotte, Nelle, Lenny et Noémie ?
Sur son cheval, Pusinius contemplait l’horizon. « Cette colline domine la vallée, se dit-il. De cet endroit, je contrôlerai toutes les routes. C’est ici que je vais construire mon camp fortifié, et César sera fier de moi ! »
— Nous allons construire un camp ici ! ordonna-t-il d’une voix claironnante.
Le décurion qui se trouvait à côté de lui sur son âne s’élança, carotte suspendue au bout de la lance, pour passer le message à ses légionnaires.
***
Un Gaulois nommé Erix, tout maigre, cheveux blancs, yeux bleus, se promenait dans la forêt. Il revenait de son potager avec son panier rempli de carottes et devait passer par la colline pour rentrer dans sa chaumière, au cœur du petit, isolé, accueillant et paisible village d’Udergossix. Il entendit du bruit au sommet de la colline et en s’approchant, aperçut de nombreuses silhouettes rassemblées. Surpris, il s’interrogea et grimpa pour en savoir davantage. Arrivé à deux cents mètres de la crête, le doute s’installa dans son esprit : il ne reconnaissait ni les voix ni les vêtements de son peuple. Courageux, il poursuivit, en rampant tel un serpent qui se meut dans les hautes herbes. Arrivé à cent mètres, il se pétrifia : devant lui, des centaines d’horribles Romains qui s’affairaient ! Il roula jusqu’au buisson le plus proche et s’y cacha.
***
Soudain, au sommet de la colline, l’âne se cabra et poussa un « HI-HAN ! » si puissant que le décurion lâcha sa lance et que les oiseaux s’envolèrent à dix kilomètres alentour, formant un nuage qui obscurcit le ciel. La bête dévala la pente au grand galop. Le décurion, affolé, se cramponna à sa crinière et serra les jambes le plus fort possible dans une tentative désespérée d’arrêter sa monture, qui fonçait tête baissée vers un buisson. Tout à coup, l’âne pila et son cavalier fit un vol plané pour atterrir la tête plantée dans le creux d’un arbre. Le Gaulois, effrayé, jeta au loin le fruit de ses récoltes et s’enfuit à toutes jambes vers son village.
Mais trop tard ! Les hommes de Pusinius avaient observé la scène. Ils l’interceptèrent et l’attachèrent au tronc d’un arbre, gardé par dix légionnaires en ronde autour.
***
Dans le village, les Gaulois vaquaient à leurs occupations habituelles quand tout devint noir. Pris de panique, persuadés qu’était venu le temps pour le ciel de leur tomber sur la tête, ils se précipitèrent, petits et grands, hommes et femmes, dans leur chaumière. Au bout de quelques minutes, un cri strident retentit : c’était Béatrix, la cuisinière du village. Matix L’Ancien, le chef d’Udergossix, n’écoutant que son courage, laissa là son chien, sa femme et ses neuf enfants, rassembla ses trois guerriers les plus valeureux, et se précipita à son secours. Béatrix hurlait toujours. Il donna un puissant coup d’épaule dans sa porte et pénétra dans sa chaumière.
— Que t’arrive-t-il ?
— AHHHHHH ! répondit en hurlant la malheureuse.
Comprenant qu’il n’obtiendrait rien d’elle, il demanda à parler à son mari :
— Où est Erix ?
— Il il il il…
— Il quoi ? s’agaça-t-il.
— Il il il il aaaa…
— Il a quoi ?!? insista Matix, à bout de patience.
— Il a disparu ! murmura la pauvre femme dans un sanglot.
Un des guerriers, immense de taille et de muscles, les cheveux blonds tressés, s’exclama :
— Je l’ai vu tout à l’heure avec son panier d’osier, il m’a dit qu’il partait au potager chercher des carottes pour la soupe de ce soir.
Matix l’Ancien frappa dans ses mains et sa poussette en bois arriva, tirée par ses quatre chauffeurs. On l’installa dessus et il claqua des doigts en ordonnant qu’on se prépare à le conduire au potager avec tous les hommes armés de leurs glaives et de leurs boucliers.
Pendant que ces derniers se rassemblaient au centre du village, les oiseaux, calmés, rejoignirent leur nid, et le soleil réapparut. Les villageois distinguèrent alors au sommet de la colline les imposantes silhouettes des légionnaires.
— Des Roro… Des Roro… Des ROOOMMMAAAIIINNNSSSS ! hurlèrent-ils d’une seule voix.
Matix trouva les mots pour détendre ses troupes et ordonna à Alexandrix, son espion, d’aller voir ce qu’il se passait là-haut.
Vingt minutes plus tard, le jeune Gaulois revint. Il expliqua qu’il avait vu Erix attaché à un arbre entouré de dix Romains, ainsi qu’un décurion la tête plantée dans un tronc. Ni une, ni deux, Matix l’Ancien eut une idée ! Il se fit apporter les peaux des bêtes sauvages qui avaient été tuées lors de la dernière chasse : un loup et deux sangliers. Avec le tranchant de son glaive, il découpa les peaux et recouvrit sa tête de la tête du loup, son corps et ses jambes à moitié de la peau du loup à moitié de la peau des sangliers, ses deux mains des têtes des deux sangliers. Il était devenu un monstre horrible !
Il se fit transporter par l’arrière du village vers la forêt et contourna la colline. À proximité de l’arbre auquel Erix était attaché, il descendit de sa poussette et renvoya ses porteurs au village. Seul, il poussa un hurlement grave qui fit trembler la terre à des kilomètres à la ronde. Les Romains se retournèrent et aperçurent aussitôt le monstre. Ils prirent leurs jambes à leur cou et rejoignirent leur garnison pour avertir Pusinius. Matix l’Ancien, très fier de son succès, retira son déguisement et libéra Erix. Comprenant ce qui venait de se passer, et à qui il avait à faire, Pusinius éperonna son cheval et dévala la colline. Matix l’Ancien renvoya Erix auprès de sa femme et attendit le lieutenant de pied ferme.
— Ô toi, grand chef ! Ô Valeureux Gaulois ! J’installe respectueusement ma légion sur cette colline.
— « Cette » colline, c’est NOTRE colline ! Pas question que tu installes ici ton camp.
— J’ai une proposition à te faire, poursuivit Pusinius, fin stratège.
— C’est non, coupa Matix l’Ancien, le regard plus noir que la nuit.
— Dommage, nous aurions été ravis de cuisiner jusqu’à l’éternité pour ton village…
Matix l’Ancien se ravisa… Pusinius venait de toucher une corde sensible… Et puis, Béatrix avait besoin de repos. Finalement, l’idée lui parut bonne !
C’est ainsi que la nuit tomba sur la colline recouverte des premiers pieux du camp, tandis qu’un grand banquet réunissait les Romains et les Gaulois, les premiers à la cuisine, les seconds, à table !
Tous les Romains ? Non, car le décurion, lui, était toujours coincé la tête dans son arbre !